Les dispositifs médicaux connectés embarquant de l’IA ; demain, la vague
Pourquoi l’industrie ne produit-elle pas encore de manière massive ces fameux dispositifs médicaux censés révolutionner la médecine ? A l’occasion de la publication par la Haute Autorité de Santé du premier standard d’évaluation des dispositifs connectés embarquant de l’Intelligence Artificielle, Quantmetry et CEPTON lancent un cycle ambitieux d’articles et de recherches pour comprendre les derniers freins au développement de ce secteur.
Les dispositifs médicaux connectés et dotés d’intelligences artificielles prennent encore timidement pied dans les systèmes de soin du monde. Loin de la vague annoncée il y a 2 ans quand a Food and Drug Administration américaine (FDA) avait donné son feu vert pour la mise sur le marché d’un premier dispositif médical (IDx-DR qui permettait d’automatiser la détection de la rétinopathie diabétique à partir de clichés du fond de l’oeil), le déploiement de ces nouvelles technologies de pointe tarde encore à se confirmer sur le terrain.
Et ceci malgré des promesses maintes fois mises en avant par les grands acteurs industriels et start-ups qui travaillent dans le domaine et qui mélangent souvent les apports du digital et de l’intelligence artificielle.
De quelles promesses parle-t-on ?
La première promesse mise en avant est que ces dispositifs permettent aux médecins de suivre en continu des indicateurs biologiques obtenus dans un contexte de vie réelle, en lieu et place du traditionnel examen physiopathologie (scanner, ECG..). On imagine aisément la valeur de cette donnée en cardiologie ou en diabétologie, pour lesquels on sait que les facteurs environnementaux ou comportementaux ont un poids décisif sur l’évolution de la pathologie.
Autre versant de cette avancée et qui cette fois est largement porté par l’intelligence artificielle, c’est la possibilité pour les patients de bénéficier de systèmes qui vont permettre d’individualiser finement la prise en charge en fonction de leur activité et de leurs besoins physiologiques. Le traitement va s’adapter au patient et non plus l’inverse. Les pompes à insuline et tout autres dispositifs permettant d’automatiser l’administration ou les recommandations de traitements permettent d’envisager une évolution très profonde de la pratique de la médecine. On peut citer ici le dispositif DBLG1 produit par Diabeloop et qui promet d’automatiser et de personnaliser la délivrance d’insuline. Le dispositif, pour la première fois en France, a obtenu en 2020 l’aval de la Haute Autorité de Santé pour le remboursement par l’assurance maladie, signe que les régulateurs ont bien saisi tous les bénéfices que de tels outils apportent à la médecine (voir à ce sujet un article précédent).
D’une certaine manière, les dispositifs connectés embarquant de l’IA vont permettre le passage d’une surveillance préventive (des visites planifiées régulièrement) à une surveillance adaptative et prévisionnelle ; un assouplissement des règles de contrôle physique au profit d’une meilleure réactivité du personnel médical en cas de problème.
Autre promesse relayée par les industriels, c’est la vertu pédagogique des nouveaux outils qui permettent aux patients de devenir acteurs de leurs soins et d’atténuer la charge mentale que représente l’observance de certains traitements. En 2014, une étude IMS Health France (aujourd’hui Iqvia) /CRIP estimait à plus de 9 milliards d’euros le coût de la non observance médicamenteuse. Cette étude, quoique peu récente, montre que l’enjeu financier et humain de l’observance est clé.
Enfin, ces nouveaux types de dispositifs connectés, facilitent la mise en place de dispositifs de type HAD (Hôpital à Domicile) pour faciliter et sécuriser le maintien à domicile des patients avec tout le bénéfice moral, médical (lutte contre les maladies nosocomiales et contre les déserts médicaux notamment) et bien entendu financier compte-tenu du coût extrêmement élevé d’une nuitée d’hospitalisation en hôpital.
Ces promesses étant encore trop rarement tenues, il nous semble pourtant utile de souligner que de nombreux signaux démontrent que nous sommes sur le point d’assister à un basculement fondamental qui permet d’envisager avec plus d’acuité les prochaines années de transformation profonde de la médecine et l’émergence d’intelligences artificielles au coeur des parcours de soin.
Une convergence de facteurs qui annonce un changement de paradigme.
En premier lieu, la crise sanitaire a eu un effet accélérateur du déploiement de dispositifs digitaux adaptés au contexte inédit du confinement ; plateformes de consultation à distance, dispositifs connectés… Loin d’être un épiphénomène, la prise en main de ces nouveaux outils digitaux à la fois par les patients et le personnel médical témoignent partout dans le monde d’une forme de rupture à la fois sociétale et médicale qui ancre ces pratiques de manière inédite dans le paysage des systèmes de soin. Dès le premier mois du confinement, le nombre mensuel de téléconsultations a ainsi été multiplié par 15, passant de 40 000 à 600 000. Ceci démontre que la société était prête à se saisir de ces outils et qu’il sera difficile de revenir en arrière tant ce nouveau type de relation soignant/patient a démontré son efficacité (lutte contre l’isolement, cycles courts de décision, diagnostic précoce… ; à condition toutefois qu’une médecine traditionnelle en présentiel soit maintenue par ailleurs).
Dans le sillage du développement de ces outils de téléconsultation, se déploient des plateformes de plus en plus complètes de télémédecine qui vont gérer tout le cycle de consultation, depuis la remontée et le partage de données issus de dispositifs médicaux connectés, jusqu’à l’ordonnance d’un parcours de soin personnalisé (Implicity, Moon pour ne citer qu’eux). Cette vision très intégrée du parcours de soin va générer des données inédites, de grande qualité qui feront le lit demain, de nouveaux dispositifs connectés intelligents, capables d’agir en s’appuyant sur des historiques massifs directement collectés au cœur du parcours de soin et sans rupture.
Enfin, à ce contexte sanitaire et au développement de la médecine digitalisée s’ajoute une rapide innovation technologique qui rend possible la mise sur le marché de dispositifs de plus en plus performants : de nouveaux types de capteurs apparaissent, les capacités de calculs se démultiplient et sont désormais embarquées directement sur les processeurs des appareils (plus besoin de connectivité stable et continue). A ceci s’ajoute l’émergence et le croisement de nouvelles compétences issues des métiers de la robotique, de l’électronique, du digital, de la physique, de la data science…
Fait unique dans les 5 dernières années, nous en sommes donc à un point où tous les signaux convergent pour que les industriels promoteurs de dispositifs connectés intelligents fassent le choix d’investir massivement dans cette filière :
- Appui du régulateur qui met en œuvre des dispositifs facilitant (En France ; Forfait Innovation, Investissements BPI, programme Etapes, Standards d’évaluation..).
- Appropriation des outils digitaux dans le système de soin à la fois par les patients et par les personnels médicaux.
- Maturité technologique sans précédent.
CEPTON et Quantmetry lancent un cycle d’articles pour comprendre les enjeux de cette transformation.
C’est dans ce contexte « pré-révolutionnaire » que le cabinet CEPTON, cabinet de conseil en stratégie spécialisé dans la santé et Quantmetry, cabinet conseil et créateur d’intelligences artificielles, ont souhaité unir leurs points de vue critiques. Nous consacrerons une série d’articles qui permettra de faire un état des lieux de la maturité de ce secteur innovant, et de comprendre les freins majeurs à la mise sur le marché qui subsistent aujourd’hui. Ces freins sont-ils réglementaires, techniques, sociétaux, économiques, éthiques?
La conviction de CEPTON et Quantmetry est que ces outils, qui portent en germe un changement fondamental dans la façon d’exercer la médecine, touchent les professionnels de la santé et les autorités réglementaires au coeur de leur métier; c’est donc par eux que cette révolution se fera, ou elle ne se fera pas.
L’ambition de cette collaboration sera également d’imaginer les moyens de passer le cap et de concrétiser les promesses. à l’occasion d’échanges avec des professionnels praticiens et issus de la recherche médicale, des laboratoires, des institutions régulatrices et bien sûr, des associations de patients.